Dans l’ombre du palais
De l’ombre à la lumière, la chapelle des pénitents blancs de Lodève, aujourd’hui lieu d’émergence artistique, dévoile un passé en demi-teinte.
Érigée en 1861 sur les anciens remparts de la ville, elle traverse les siècles, soumise aux épreuves du temps, et à la volonté des hommes à modifier son emplacement ou à en faire autre chose qu’un lieu de culte. Après avoir subi plusieurs inondations, elle est pour la troisième fois déplacée 2 rue Jean-Jaurès dans une ancienne prison, appelée Mala Pegre, littéralement mauvais garçons.
Moins d’un siècle plus tard, le sort s’acharne.
Début des années 1960, lors d’une foire, le fronton de sa façade principale, haut de plusieurs mètres, s’effondre sur le boulevard. Sans aucun morts ou blessés, comme l’ultime signe d’une délivrance de sa vocation première. La chapelle est vendue en 1963 à la famille Papot. Une nouvelle page de l'histoire se tourne pour s'ouvrir sur une destinée moins illustre mais qui marquera l'esprit des Lodévois par la ferveur du marchand de meubles à rentrer dans le quotidien des gens avec un style contemporain.
Beaucoup de travaux sont entrepris pour faire disparaitre les traces des origines spirituelles de cette chapelle. Des arches gothiques seront détruites, des ogives cassées, des vitraux camouflés, des murs érigés, détournant le sens originel de l’édifice en destination commerciale. Trois niveaux dédiés à l’exposition de meubles, dissimuleront définitivement la sacralité du lieu empêchant la lumière de traverser le vitrail rond de la devanture qui illustrait le couronnement de la vierge, immortalisé par le maître verrier Alexandre Mauvernay. Le vitrail religieux qui a disparu, a été remplacé par une lucarne, résolument moderne.
Démunie de sa grandeur, de sa hauteur, de sa splendeur, la chapelle s’est éteinte.
Ce n’est qu’en 2007, que Jean-Christophe et son épouse, deux passionnés d’architecture, de belles pierres et amateurs d’art, amoureux de Lodève, feront l’acquisition de la chapelle désacralisée pour la faire renaitre de ses cendres.
L’attirance pour le lieu est une évidence. Un seul leitmotiv, redonner vie à ce lieu défiguré, dénaturé, dépossédé de ses pieux symboles. La route est longue mais la motivation insubmersible, les travaux perpétuels n’ont de cesse, pour restaurer la chapelle. De rénovations en découvertes, la mission presque divine et la source d’inspiration intarissable, prendront le dessus sur ce chantier titanesque.
L’idée d’une résurrection imprègne les différents espaces, que ce soient les halls d’expositions, le bar, le restaurant, d’une ambiance presque mystique.
Dédié aujourd’hui à la culture, ce lieu de culte transformé en scène culturelle reprend vie, via la mise en lumière d’artistes locaux et internationaux.
Le 1er lieu alternatif de Lodève est créé sous le nom Ô marches du palais.
Un clin d’œil pour ne pas oublier ô combien son histoire est à la fois liée à la dimension spirituelle et commerciale, passant d’une chapelle à un palais du meuble puis à un site culturel.
En 2009, deux ans seulement après le début de la restauration, une exposition des œuvres de Paul Dardé, un sculpteur autodidacte du XXème siècle, au talent hors norme, scelle le destin de la chapelle.
Désormais, elle célébrera la culture.
Tel un présage, les dessins et les sculptures de cet artiste mettent en avant la beauté, la sensibilité, les sentiments qui soulignent l’esprit humain et révèlent leur véritable âme.
Quand l’invisible rend hommage au visible, et inversement.
Un halo d’art entoure chaque endroit où l’œil se pose, attiré par on ne sait quel mystère.
En quatorze ans, des centaines d’expositions, de concerts, d’après-midi tango, diffusions de films, représentations théâtrales, ont été organisés, pour faire vibrer, encore et encore, en son sein, vieilles pierres et reliques de son passé.
La chapelle est libre de s‘exprimer, d’apporter de la joie, de l’émerveillement, du ressourcement par l’art pour tous, figeant les visiteurs, les artistes, les spectateurs, les acteurs de cette métamorphose, dans un océan d’amour devant l’insaisissable beauté de l’art, sous toutes ses formes.
« Et s’il était à refaire, je referais ce chemin », me murmure Jean-Christophe en citant Aragon.
Je me sens bien, je n’ai pas envie de partir, juste de rester un instant, contempler la lumière sur les tableaux, leurs couleurs du sud, leurs formes, leurs textures, entre oscillations et intemporalité, les vagues, les ombres et la lumière nous rapprochent de ce divin invisible ou je devine derrière chaque œuvre, chaque assemblage de pierres, chaque restauration de fresque, que la passion est là, intacte, et qu’elle est d’une beauté édifiante, solide et frissonnante.
Delphine Fauvernier
Ô Marches du palais : 2, Bd Jean-Jaurès 34700 Lodève / 04 67 88 03 31/ omarchesdupalais@gmail.com
Le musée & l'édifice culturel sont ouvert du mardi au samedi de 11h à 20h & tous les jours en été.
Le bar est ouvert du mardi au samedi de 18h à 22h